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L’enrichissement des huiles comestibles existe depuis longtemps au Pakistan. Mais jusqu’à récemment, les divers programmes étaient peu fiables et incohérents.

En 1965, les Règles sur les aliments purs de l’ouest du Pakistan ont rendu obligatoire l’enrichissement en vitamine A de l’huile comestible et du ghee produits dans le pays. Cette ordonnance avait le potentiel d’améliorer grandement la santé générale de la population. La vitamine A renforce le système immunitaire contre les infections respiratoires, la rougeole et la diarrhée. De plus, la carence en vitamine A est la principale cause de cécité nutritionnelle évitable chez les enfants, et de cécité nocturne chez les femmes enceintes. Cette norme d’enrichissement aurait pu avoir un impact sur des millions de vies.

Mais, malgré les meilleures intentions du gouvernement, les résultats restaient parsemés. L’enquête nationale sur la nutrition menée au Pakistan en 2011 [1]a révélé que plus de 46 % des femmes enceintes présentaient une carence en vitamine A. Une étude menée en 2017 [2]a signalé que seulement 19 % des marques de l’industrie officielle de l’huile comestible et du ghee enrichissaient leurs produits de vitamine A de manière adéquate. Quelque 69 % des marques enrichissaient leur huile, mais ne respectaient pas les normes nationales.

En 2016, une collaboration multipartite a entrepris de redynamiser les efforts d’enrichissement des huiles dans le pays et d’améliorer la nutrition de millions de Pakistanais par le biais de leur alimentation quotidienne. Financé grâce à l’aide du gouvernement britannique, Nutrition International et Mott MacDonald ont, en collaboration avec les gouvernements fédéraux, provinciaux et de district et les associations industrielles du Pakistan, piloté le programme d’enrichissement des aliments (PEA). Le programme portait sur l’enrichissement de la farine de blé, de l’huile comestible et du ghee en micronutriments essentiels afin de prévenir la malnutrition. En ce qui concerne l’huile et le ghee, le programme visait à combler le fossé entre les Règles et leur application, et à tirer parti des progrès réalisés en 1965, notamment en obtenant un accord pour ajouter la vitamine D à la norme d’enrichissement.

Sur une période de cinq ans, le programme a gagné la confiance de l’industrie des huiles comestibles, a tiré parti de l’économie de marché et a contribué à renforcer la réglementation grâce à la maîtrise de pratiques exemplaires mondiales en matière d’enrichissement des aliments.

Pourquoi se concentrer sur l’huile comestible ?

Les ménages pakistanais utilisent l’huile de cuisson quotidiennement. C’est un moyen fiable d’apporter des micronutriments dans le régime alimentaire de ceux qui en ont besoin.

L’enquête nationale sur la nutrition menée au Pakistan en 2011 a fait le constat suivant : près de 70 % des femmes et 40 % des enfants de moins de cinq ans présentaient une carence en vitamine D, en plus de la carence généralisée en vitamine A. L’équipe a saisi l’occasion de s’attaquer à ces deux carences en même temps, étant toutes deux essentielles à la santé et au bien-être des individus.

Alors, quelle était la cause de l’écart entre l’objectif des années 1960 et la réalité du marché ? Le siège du pouvoir, les ressources limitées, le manque de mécanismes d’application et la mobilisation de l’industrie des huiles comestibles constituaient les principaux facteurs expliquant cet écart.

En 2011, le gouvernement fédéral a transféré la responsabilité de la salubrité alimentaire aux provinces. Bien que les Règles nationales de 1965 sur les aliments purs établissaient une ligne directrice pour l’enrichissement, les provinces n’avaient aucun mécanisme ni obligation légale pour appliquer la norme.

Pour combler le fossé qui empêchait un enrichissement généralisé, le programme devait augmenter les capacités et établir des relations entre les producteurs d’huile comestible, les fournisseurs de prémélanges de vitamine A et D et les autorités alimentaires compétentes.

Convaincre les usines à participer

Pour réussir, le programme avait besoin de la participation des usines.

« Au début, les producteurs étaient réticents à apporter leur soutien et à s’inscrire au programme », explique Zameer Haider, responsable national du programme d’enrichissement de l’huile comestible chez Nutrition International, qui travaille avec le programme depuis sa création. « La sécurité de leurs données de production et la possibilité de les partager avec les autorités gouvernementales sans leur consentement constituaient deux de leurs principales préoccupations. »

L’équipe a gagné la confiance des usines en expliquant que les données de production contribuaient à la prise de décision afin d’améliorer la conformité de l’enrichissement. Des protocoles d’entente signés avec chaque fabricant ont permis d’apaiser les inquiétudes en matière de confidentialité et de renforcer la confiance pour ouvrir la voie à l’enrichissement. Le changement s’est opéré grâce à la coopération et au soutien des fabricants et de l’Association pakistanaise des fabricants de vanaspati (PVMA).

Le processus d’enrichissement en soi constituait un autre obstacle.

« Pour réussir, le programme avait besoin d’un partenariat solide avec le secteur privé. Il a une incidence sur tout. »

L’enrichissement n’était pas au rendez-vous lors de la construction de la plupart des usines. Comme la solution de prémélange est plus lourde que l’huile, il faut la diluer, puis la mélanger efficacement sinon elle risque de coller au fond des réservoirs d’entreposage et le processus devient inutile. On a donc organisé des formations dans le cadre du programme et aidé les usines à modifier leur ligne de production ainsi qu’à installer des réservoirs de dilution lorsque nécessaire.

« Ici, nous procédions à l’enrichissement, donc rien de nouveau. La nouveauté se trouve dans le style, le système de fabrication que nous avons adopté grâce à vous », a déclaré Bahram Khan, responsable du processus chez Mahboob Industries à Lahore, où on a installé un réservoir de dilution. « Cela a sans aucun doute contribué à améliorer l’enrichissement. Et la tenue de registres, pour consigner la manière dont on effectue l’enrichissement du début à la fin de chaque lot, était très impressionnante. ”

En mai 2017, le programme comptait sur la participation de 13 usines. À la fin de 2018, on avait mobilisé les 136 usines opérationnelles de toutes les provinces. La participation étant assurée, il restait à savoir si les usines poursuivraient l’enrichissement à la fin du programme.

Chaînes d’approvisionnement, subventions et durabilité

Une subvention stratégique a servi d’incitation initiale pour que les usines achètent le prémélange nécessaire à l’enrichissement, mais sans accorder de subvention directement aux fournisseurs de prémélange.  Ils ont plutôt été invités à devenir des partenaires, puis la dynamique du marché a suivi.

La subvention initiale accordée aux usines, et réduite sur une base progressive, s’échelonnait sur une période de 24 mois. Au cours des six premiers mois, une usine recevait 20 % du coût du prémélange de micronutriments. Puis, on a réduit ce montant à 10 % du coût jusqu’à ce que la subvention arrive à échéance. Cette subvention était également assortie de conditions. Les usines la recevaient seulement lorsqu’un laboratoire tiers avait confirmé l’assurance de qualité du produit, soit que la teneur de l’huile en micronutriments respectait les limites recommandées.

Faisant référence à l’accord initial entre le Royaume-Uni et le Pakistan, Diane Northway, chef d’équipe puis directrice de projet chez Mott MacDonald, a déclaré : « Le programme émane d’un accord entre deux gouvernements, mais le succès, les résultats, reviennent au secteur privé. Voilà qui est très intéressant. »

Dans le cadre du programme, le pouvoir de négociation en raison du nombre d’usines impliquées a permis de négocier un meilleur prix pour le prémélange auprès des fournisseurs. Ces fournisseurs devaient également mettre en place leurs propres systèmes d’approvisionnement locaux qui livraient le prémélange directement à la porte de l’usine. Mme Northway qualifie le projet  « de double victoire » pour les usines participantes, très actives à chaque étape.  « Pour réussir, le programme avait besoin d’un partenariat solide avec le secteur privé. Il a une incidence sur tout », a-t-elle déclaré. Elle a ajouté que puisqu’on avait déjà introduit  l’enrichissement de l’huile et qu’il existait dans une certaine mesure, le rôle de l’équipe se limitait à soutenir l’industrie.

La subvention du premier groupe d’usines a pris fin en 2019. Ces usines ont continué à enrichir leur huile sans subvention, tout comme les usines des autres groupes depuis.

Harmonisation de l’application des règles aux normes nationales 

Malgré tous ces efforts, l’industrie a besoin du soutien et de la réglementation du gouvernement. Ainsi, l’équipe du programme a non seulement travaillé activement avec les usines, mais elle a également mobilisé les quatre autorités alimentaires provinciales.

« L’harmonisation entre les provinces revêt une grande importance », a indiqué Northway. « Bien sûr, l’huile comestible traverse les frontières provinciales. Si une province légiférait des normes différentes, les producteurs d’autres provinces pourraient ne pas être en mesure de respecter ces normes. »

En 2018, les quatre provinces disposaient de normes harmonisées. L’étape suivante consistait à transformer ces normes en loi. Les ministères provinciaux de l’Alimentation et les autorités alimentaires ont commencé à élaborer des projets de loi qui garantiraient l’enrichissement des huiles à l’avenir. Toutes les provinces ont rédigé leurs projets de loi qui sont à différents stades d’approbation. Une fois confirmées, ces lois aideront à institutionnaliser l’enrichissement de l’huile dans les processus de production des usines et d’application de la loi des gouvernements.

Les usines se perfectionnent.

En plus de la vérification des résultats par un laboratoire tiers, l’équipe du programme a travaillé avec les usines pour développer la capacité d’effectuer des analyses internes afin d’améliorer le processus global d’assurance qualité. Elle a également mis en place un système de vente au détail pour l’achat de trousses d’essais rapides. Les usines utilisent activement ces trousses pour s’assurer que l’ajout de vitamines A et D est conforme à la réglementation avant de mettre le produit sur le marché.

Qui veut, peut

En janvier 2021, 95 % des usines pakistanaises enrichissaient correctement l’huile comestible avec la quantité prescrite de vitamines A et D. Les données relatives à la chaîne d’approvisionnement des achats de prémélanges ne laissent pas présager un ralentissement de l’enrichissement.

Une enquête d’évaluation rapide a révélé que 72 % de la population du pays consomme de l’huile ou du ghee provenant du secteur officiel. Le programme estime avoir un impact sur 68 % de la population, soit plus de 120 millions de Pakistanais qui utilisent l’huile enrichie à la maison.

L’impact du programme sur les niveaux de carence dans la population générale devra faire l’objet de recherches. En attendant, il reste encore du travail à faire.

Outre ceux qui consomment l’huile produite par le secteur officiel, il reste que 28 % de la population consomme de l’huile non transformée vendue illégalement, mais à bas prix, dans le secteur non officiel. Nutrition International a plaidé efficacement auprès des gouvernements fédéral et provinciaux pour qu’ils interdisent l’huile en vrac et continue d’explorer les moyens de soutenir l’application de la loi.

Le programme d’enrichissement des aliments a réussi à mobiliser l’industrie et le gouvernement en faveur de l’enrichissement des huiles comestibles. Les Règles sur les aliments purs des années 1960, bien qu’inefficaces pour garantir un enrichissement à grande échelle conforme aux normes, ont joué un rôle important dans la création d’un climat propice à la généralisation de l’enrichissement de l’huile. Nutrition International s’appuiera sur les leçons tirées de ces cinq dernières années pour continuer à travailler au Pakistan afin d’intégrer l’enrichissement des aliments à d’autres denrées de base dans les années à venir.

[1] Enquête nationale sur la nutrition, gouvernement du Pakistan, 2011

[2] Enquête FACT (Fortification Assessment Coverage Toolkit) au Pakistan, 2017