Luz María De-Regil.

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Par Luz Maria De-Regil, directrice des services techniques mondiaux et conseillère technique principal

Cette semaine, les chefs de file de la santé sont réunis à Genève pour l’Assemblée mondiale de la Santé (AMS). Ils y entendront parler de progrès dans certains domaines, mais il faut faire davantage pour renforcer les interventions en nutrition et s’attaquer à l’anémie – l’objectif de l’AMS le moins avancé.

La malnutrition, comme la pauvreté, est sexiste.

Plus d’un milliard de femmes et de filles souffrent de malnutrition à l’heure actuelle, manquant de la nutrition de base nécessaire à leur survie et à leur épanouissement. Pour des millions de femmes et d’adolescentes, la conséquence directe de cette mauvaise nutrition c’est l’anémie – un état principalement dû aux faibles taux de fer, dans lequel les globules rouges sont anormalement petits et moins nombreux, ce qui affecte le transport de l’oxygène dans l’organisme.

L’anémie et la carence en fer peuvent entraîner un mauvais développement cognitif et moteur, de la fatigue, une baisse de la productivité et du potentiel de gains financiers, et, lorsqu’elles se produisent durant la grossesse, un risque accru d’insuffisance pondérale à la naissance et de mortalité maternelle. La carence en fer est le trouble nutritionnel le plus courant et le plus répandu dans le monde, et l’anémie, due à une carence en fer (ou ferriprive), est le premier facteur à l’origine du nombre d’années de vie ajustées en fonction de l’incapacité chez les adolescentes. Pourtant, quand on en vient à la nécessité d’une affectation des ressources et d’une volonté politique à l’échelle mondiale, l’anémie est souvent laissée de côté.

L’anémie affecte un demi-milliard de femmes en âge de procréer et quatre femmes enceintes sur dix dans le monde. L’anémie aiguë voue des millions de femmes et de filles à une santé et une qualité de vie détériorées, en plus de compromettre le développement de générations d’enfants. Les efforts et investissements actuels sont trop rares et trop modestes pour inverser la tendance – et, à ce rythme, il y a peu d’espoir de voir éliminer l’anémie avant 2130 – soit un siècle après la date fixée pour atteindre la cible  mondiale.

Intensifier l’action contre l’anémie, c’est payant.

En 2012, les chefs de file mondiaux de la santé se sont engagés à réduire l’anémie de moitié d’ici 2025. Malgré une vague croissante d’intérêt et d’action en faveur de la nutrition mondiale, les taux d’anémie restent bloqués et 98 % des pays sont mal partis pour atteindre la cible.

La supplémentation hebdomadaire des femmes et des adolescentes en fer et acide folique (FAF) est une solution éprouvée, bien acceptée et économique pour réduire l’anémie. En fait, l’Organisation mondiale de la santé la recommande comme une intervention de santé publique, pour les populations dans lesquelles la prévalence de l’anémie atteint 20 % parmi les femmes en âge de procréer qui ne sont pas enceintes. La Banque mondiale fait aussi des interventions contre l’anémie une priorité de son cadre d’investissement pour la nutrition.

À Nutrition International, nous sommes à l’avant-garde pour renforcer la supplémentation en FAF, ciblant celles qui en profiteront au mieux et qui souvent ne bénéficient pas d’autres interventions: les adolescentes. Rien que l’année passée, nous avons démarré des initiatives au Bangladesh, en Inde, en Indonésie, en Éthiopie, au Kenya, au Pakistan, au Sénégal et en Tanzanie, dans le but de rejoindre 20 millions de filles durant les trois prochaines années.

Est-ce que c’est facile? Non. Nous nous obligeons à sortir de notre zone de confort et travaillons avec les gouvernements en vue d’établir des ponts entre les secteurs de la santé, de l’éducation et de l’AEPHA (Approvisionnement en Eau potable, Hygiène et Assainissement), pour garantir aux filles plus qu’un supplément et des avantages qui appuieront leur éducation et leurs entreprises économiques futures.

En Éthiopie et au Sénégal, des filles nous ont dit vouloir être pilotes, professeures, étudiantes à l’université, femmes d’affaires, médecins et ingénieures. Une adolescente du Sénégal nous a expliqué pourquoi elle voulait choisir l’AEPHA : « Parce que si je suis en bonne santé, je pourrais avoir tout ce que je veux dans la vie. Je voudrais être professeure, mais si j’ai des problèmes de santé, je ne pourrai pas l’être. Une bonne santé donne plus d’énergie.”  

Est-ce que cela vaut la peine? Oui. Notre effort a un effet sensibilisateur et ouvre la porte à d’autres partenaires qui veulent également travailler en nutrition des adolescentes.

L’anémie est le problème de tous. Le temps de l’action concertée est venu.

Alors que le problème est universel et que des solutions connues et économiques pourraient aider à réduire les taux d’anémie de moitié, la question demeure : Pourquoi l’anémie reste-t-elle aussi prévalente, débilitante et dangereuse?

En répondant à cette question, on ne peut pas laisser de côté le fait que l’anémie touche de manière  disproportionnée les femmes et les filles. Pour faire reculer cette inégalité, il est essentiel de reconnaître la dimension sexospécifique de l’anémie, de soulever la question et d’appeler à agir de manière efficace. Pour prévenir et réduire l’anémie, on peut suivre dès à présent les pistes suivantes :

  1. Placer les femmes et les filles au centre des interventions en santé et développement, reconnaissant ainsi que la pauvreté et la malnutrition ont un caractère sexiste et que la réduction de l’anémie est essentielle à la santé et l’autonomisation des femmes et des filles.
  2. Augmenter le financement et les ressources destinés aux solutions éprouvées comme l’AEPHA, dans les pays à forte charge de morbidité.
  3. Prioriser la collecte de données ventilées par âge et par sexe, afin de garantir un tableau précis de la santé et la nutrition dans toutes les populations et placer les gouvernements et les organisations non gouvernementales en meilleure position pour réduire les taux d’anémie. Dans l’idéal, toutes les données devraient être ventilées par sexe et par tranches de cinq ans pour les 25 premières années de vie.

Par ces actions, les gouvernements, les donateurs et les organisations non gouvernementales peuvent non seulement faire des avancées significatives pour réduire la prévalence et la gravité de l’anémie, mais aussi, plus largement, renforcer la sensibilité des systèmes de santé à la problématique du genre.

Cette semaine, les chefs de file de la santé sont réunis à Genève pour l’Assemblée mondiale de la Santé (AMS). Ils y entendront parler de progrès dans certains domaines, mais ils ont besoin qu’on leur conseille des mesures concrètes.

Pour le Canada, il n’y a jamais eu de meilleur moment pour une action concertée en vue de réduire l’anémie ferriprive chez les femmes et les filles. L’action ciblée pour réduire l’anémie s’aligne sans ambiguïté sur le leadership de longue date du gouvernement canadien en nutrition mondiale et sur l’importance que le premier ministre canadien Justin Trudeau accorde au fait que « le Canada est un chef de file en ce qui concerne le renforcement socio-économique des femmes et des filles ainsi que la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes partout dans le monde ».

L’action en vue de réduire l’anémie est une occasion de développement international qui attend d’être saisie. Elle ouvrira des perspectives économiques et de formation à des millions de personnes, entraînera une baisse significative de la mortalité maternelle et fera progresser l’égalité des sexes partout dans le monde. Nous connaissons le problème et la solution. Tout ce qui nous manque c’est la volonté d’agir.