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Au nord de l’Inde, dans le district de Chandauli de l’État d’Uttar Pradesh, des adolescentes s’expriment sur un sujet autrefois défendu : leurs règles. Avec le soutien d’une nouvelle initiative qui vise à promouvoir la santé et l’hygiène menstruelles, ces adolescentes remettent en question ces idées fausses et la stigmatisation que des générations de femmes leur ont transmises.

Dans la communauté rurale de Baheri, nous nous entretenons avec Rubi, 13 ans, une élève enthousiaste de huitième année qui vit avec ses parents et ses trois frères et sœurs. Son père, un travailleur de la construction, gagne bien sa vie malgré un horaire parfois irrégulier. Son salaire permet à la famille d’en vivre et à Rubi de poursuivre ses études. Mais l’arrivée de ses premières règles a failli faire dérailler tous ses projets d’avenir.

« Lorsque ma famille l’a appris, ma mère m’a ordonné de ne pas participer à la puja (célébration cérémoniale) et d’éviter de cuisiner, de me laver et de sortir de la maison », dit-elle.

« Dans le contexte rural, il y a beaucoup de mythes concernant l’hygiène pendant les menstruations. »

— Sangeeta Karmakar, représentante du programme de l’État

N’ayant guère d’autres conseils que ces mises en garde, Rubi a dû improviser. Elle s’est servie d’un vieux morceau de tissu, qu’elle ne changeait qu’une fois par jour et qu’elle jetait ensuite en cachette dans les champs ou la jungle près de son village.
Selon l’Enquête nationale indienne sur la santé familiale (2019-2021), seulement 72,6 % des adolescentes et des femmes âgées de 15 à 24 ans utilisent des méthodes de protection hygiéniques pendant leurs règles en Uttar Pradesh. Cela signifie que plus d’un quart des personnes de cette tranche d’âge ne le font pas. Bien que l’on trouve des produits d’hygiène menstruelle en abondance sur les marchés ouverts, il existe de nombreux obstacles à l’accès : la sensibilisation limitée aux méthodes hygiéniques sûres, l’hésitation des filles des familles conservatrices à demander de l’argent pour acheter des produits et le caractère souvent inabordable de ces derniers.
Comme beaucoup de filles de son village, Rubi a d’abord eu peur de se confier à quelqu’un au sujet des nouveaux défis qu’elle rencontrait en raison de ses règles. Mais elle a trouvé le courage d’agir lorsqu’elle a senti qu’elle ne pouvait plus gérer seule la situation, en particulier lorsqu’on l’empêchait d’aller à l’école. Elle a demandé de l’aide à son enseignante, qui avait récemment parlé de l’hygiène menstruelle à l’école.

Mettre l’accent sur l’hygiène menstruelle

En mars 2020, Nutrition International a lancé un projet pilote sur la santé et l’hygiène menstruelles à Chandauli. Cette initiative s’appuie sur son travail avec le gouvernement de l’État pour lutter contre l’anémie des adolescents grâce à la supplémentation hebdomadaire en fer et en acide folique (FAF) et de l’éducation nutritionnelle.
« Dans le contexte rural, il y a beaucoup de mythes concernant l’hygiène pendant les menstruations. Ces mythes ont fait surface lors de nos activités sur l’anémie chez les adolescentes », explique Sangeeta Karmakar, représentante du programme de l’État de Nutrition International. Malgré la mise en place d’un programme de gestion de l’hygiène menstruelle du gouvernement de l’État, elle explique qu’on y consacrait très peu d’efforts jusqu’à ce moment.

L’initiative met des serviettes hygiéniques menstruelles à la disposition des adolescentes sur une table, dans un panier, devant une affiche qui fournit des informations éducatives sur les règles.
Dans le cadre du programme, on trouve une boîte aux questions et des serviettes hygiéniques facilement accessibles sur une table dans la classe.

Ce projet pilote visait à accroître les connaissances des enseignants et des agents de santé sur les pratiques d’hygiène menstruelle afin d’améliorer leur capacité à soutenir les adolescentes à cette étape critique de leur vie. Dans un premier temps, l’équipe de Mme Karmakar a travaillé avec les ministères de la Santé et de l’Éducation de l’État pour élaborer des outils de formation et établir des critères de sélection pour les formateurs ainsi que pour les enseignantes qui participent à l’initiative – soit une pour chaque école du district. On a demandé aux formateurs de jouer le rôle de mentor et d’avoir une expérience de la promotion de la santé et de l’hygiène menstruelles au niveau communautaire, tandis que les enseignantes devaient avoir l’esprit ouvert et être à l’aise pour aborder la question avec les élèves.
« Elles doivent être prêtes à conseiller les étudiantes. Nous sélectionnons seulement les enseignantes qui font preuve de cette volonté », dit Mme Karmakar.
Les mentors devaient guider les enseignantes dans le cadre du programme scolaire et leur montrer différentes techniques de prestation de conseils. Ils devaient également faire participer le personnel des anganwadis (centres communautaires de proximité), en leur donnant les connaissances et les compétences nécessaires pour atteindre les adolescentes non scolarisées. Une fois formés, les enseignantes et les agents de santé étaient en mesure d’organiser régulièrement des sessions de counseling de groupe avec les adolescentes de Chandauli.

Adaptation au contexte de la COVID-19

La pandémie de COVID 19, apparue peu après le lancement du projet pilote, a présenté des défis opérationnels soudains et importants. La fermeture des écoles a forcé l’équipe à rechercher d’autres moyens d’atteindre les adolescentes. Les sessions de counseling de groupe en ligne se prêtaient bien aux populations urbaines et aisées, mais le programme devait cibler les groupes à faibles revenus qui n’avaient pas le même accès aux technologies numériques. Seule la plateforme des journées de santé et de nutrition dans les villages (JSNV) a continué à fournir des services aux communautés rurales tout au long de la pandémie. L’équipe a tiré parti de ces événements mensuels pour faire participer les adolescentes scolarisées et non scolarisées.

Alors que les JSNV se tenaient dans tout Chandauli, les mentors ont passé des journées entières dans chaque village. Ils ont réuni de nombreux petits groupes de 15 à 20 filles pour respecter les protocoles de COVID-19. Après quelques sessions, ils ont passé le relais aux enseignantes et aux travailleurs anganwadi, agents de première ligne, et ont assuré la supervision et le soutien.

Une enseignante en kurta rouge se tient devant une affiche dans une salle de classe. Elle montre l'affiche tout en regardant la caméra.
Les enseignantes ont reçu une formation sur la gestion de l'hygiène menstruelle dans le cadre du programme de nutrition des adolescents. Elles normalisent les discussions sur la santé menstruelle dans la classe.

Bien que le déploiement ait été beaucoup plus lent que prévu initialement, la réaction des filles a décidément stimulé l’équipe. « Elles étaient très enthousiastes », déclare Sangeeta Karmakar.
Au fur et à mesure de l’évolution de la pandémique et de la reprise de l’enseignement en classe, les enseignantes ont commencé à organiser régulièrement des sessions de counseling de groupe dans les écoles pour renforcer le message et encourager l’adoption de pratiques d’hygiène menstruelle sûres.

Partager ces leçons à la maison

Grâce à ces sessions, Rubi a appris que les menstruations sont une étape naturelle de la croissance et du développement, et qu’une bonne hygiène et une bonne nutrition pouvaient l’aider à rester à l’école pendant ses règles. Elle a également appris qu’il était important de partager ce message avec sa famille.

Elle a transmis les informations à sa sœur et à sa mère, ce qui a contribué à faire évoluer leur mentalité sur la honte et les idées fausses dont elles avaient hérité. Elles ont commencé à utiliser des serviettes hygiéniques achetées au magasin médical du gouvernement, les changeant trois à quatre fois par jour et les jetant en toute sécurité dans la fosse qu’elles ont creusée derrière la maison. Lorsque les serviettes hygiéniques étaient trop chères ou non disponibles, elles utilisaient du tissu en coton propre et sec.
Ayant appris l’importance d’une alimentation variée, Rubi a également incité sa mère à incorporer dans ses plats des légumes feuillus, des légumineuses et des betteraves rouges, tous riches en fer.

« Je pense que les connaissances que j’ai acquises de mon enseignante sur l’hygiène menstruelle m’ont fait prendre conscience de ma possibilité d’agir et m’ont aidée à conseiller ma sœur aînée et ma mère. »

—Rubi, élève de 8e année, Uttar Pradesh, Inde

« Je pense que les connaissances que j’ai acquises de mon enseignante sur l’hygiène menstruelle m’ont fait prendre conscience de ma possibilité d’agir et m’ont aidée à conseiller ma sœur aînée et ma mère », explique Rubi, qui s’est rapidement imposée comme une championne de la santé menstruelle, apportant réconfort et conseils à ses pairs. « Mes amies peuvent toujours me rejoindre lorsqu’elles cherchent des informations sur les menstruations. »

Ameet Babre, responsable du programme national des systèmes de santé à Nutrition International, explique que si le projet pilote est né du travail de Nutrition International sur l’anémie chez les adolescentes, l’objectif plus large est d’améliorer la santé et le bien-être des filles grâce à un environnement scolaire positif. Cela comprend l’accès à l’information, à des produits d’hygiène menstruelle abordables, à des installations sanitaires et de lavage, à des mécanismes d’élimination sûrs des produits, et la fin des mythes et tabous néfastes.
« Nous sommes plutôt loin de l’aspect médical de la relation entre l’anémie nutritionnelle et l’hygiène menstruelle », explique Ameet Babre. « Il s’agit d’autonomiser les filles et de leur montrer une approche plus globale qui apporte des changements. »

Optimiser les répercussions

Bien que les répercussions du projet pilote n’ont pas encore été formellement évaluées, les témoignages comme celui de Rubi sont encourageants. Les équipes sur le terrain ont également observé que les enseignantes ne se contentent pas de jouer leur rôle de conseillère, mais vont au-delà : elles creusent des fosses sur le terrain de l’école pour y jeter les produits et travaillent avec la direction de l’école pour assurer un approvisionnement régulier en eau potable. L’équipe espère que le projet pilote apportera des informations et des enseignements qui lui permettront de plaider pour l’intégration de la santé et de l’hygiène menstruelles dans les programmes de nutrition des adolescents dans tout l’État.

“« Il s’agit d’autonomiser les filles et de leur montrer une approche plus globale qui apporte des changements. »

Pour l’instant, l’objectif du projet pilote est de toucher 70 000 adolescentes à Chandauli, mais M. Babre souligne l’importance de faire également participer les garçons. « Ces adolescents se marieront demain et seront à la tête d’une famille, donc leur sensibilité à cette question particulière est très importante », explique-t-il.

Il y a aussi des plans en cours pour rejoindre directement un public plus large de jeunes. En collaboration avec le gouvernement de l’État, Nutrition International crée une série de courtes vidéos animées qui démontreront les avantages de la gestion de l’hygiène menstruelle de manière claire et convaincante. Ces vidéos pourraient raconter l’histoire de jeunes femmes comme Rubi, qui, en adoptant quelques pratiques simples, peuvent gérer confortablement leurs règles, rester concentrées sur leurs études et encourager leurs amies à faire de même.